LE SECTEUR DU LIÈGE

LE SECTEUR DU LIÈGE2021-04-19T22:28:19+00:00

Le secteur du liège

L’extraction et l’utilisation du liège, outre leur fonction environnementale, ont été et restent des éléments de cohésion territoriale et de production de richesse pour un bon nombre de zones rurales. Cela a permis de mettre en place une gestion forestière durable et de créer une structure économique de référence sur les territoires qui possèdent des suberaies, évitant ainsi un exode rural et une baisse de la population dans ces territoires.

Il n’y a rien de très nouveau dans tout cela, car il s’agit en fait d’une activité très ancienne. L’utilisation du bouchon de liège remonte aux amphores romaines. C’est après l’apparition du champagne, grâce à Dom Pérignon, que l’utilisation du liège devient la norme et se transforme en un moteur économique.

C’est dans la première période qui suit immédiatement Dom Pérignon que l’on voit se developer un artisanat consacré à la fabrication de bouchons de liège. Ayant débuté en France, la quête de cette précieuse matière première finit par entraîner son exploitation systématique dans les forêts catalanes. À partir de là, elle s’étend peu à peu dans toute la Péninsule Ibérique et en Italie. La transition de l’artisanat vers l’industrie ne fait qu’accroître la valeur économique de la matière première et de ses produits manufacturés. Les nouvelles applications qui apparaissent tout au long du XIXe siècle impliquent de profonds changements dans le secteur, et surtout, dans les communes où celui-ci se développe. Toutes ces communes connaissent une véritable révolution industrielle qui, en raison de l’extension progressive du négoce du liège, favorise l’apparition de populations cosmopolites. Une véritable civilisation du liège voit ainsi le jour.

Dans la première moitié du XXe siècle, nous assistons à l’apogée du secteur liège. Le bouchon pour vins tranquilles et effervescents ne constitue que l’un des sous-secteurs au même titre que deux autres : la rondelle pour bouchons couronne destinés aux bières et aux sodas, ainsi que les applications industrielles pour le papierfiltre des cigarettes, la réfrigération, l’isolation et les pièces pour l’automobile obtenues à partir du liège aggloméré. L’industrie du liège brise les barrières des territoires producteurs et la matière première semi-ouvrée est exportée vers des entreprises industrielles implantées dans le reste de l’Europe et du Nouveau Monde.

Mais ce n’est qu’au XXe siècle, plus précisément dans le dernier tiers, qu’une nouvelle et double évolution du secteur se produit : d’une part, la croissance de l’industrie portugaise, devenue la première puissance mondiale du liège, et d’autre part, l’apparition de produits synthétiques qui supplantent le liège dans le sous-secteur bière – soda ainsi que de la plus grande partie des applications industrielles restantes. Ce n’est que sur le marché des vins, toutes catégories confondues, que le bouchon de liège est resté maître et seigneur. Ces dernières années, les matières synthétiques (plastique et aluminium) ont néanmoins commencé à s’attaquer au bastion bouchonnier du liège. Aujourd’hui, les données estimatives évaluent à 70 % les bouteilles de vin bouchées avec du liège et à 30 % celles qui sont bouchées avec d’autres types de bouchons.

Cependant, contrairement au siècle dernier, la situation actuelle peut, et à notre sens doit, évoluer en faveur du liège. De plus en plus d’études démontrent que les capsules en métal ou les bouchons en plastique n’améliorent en aucun cas le vin comme le fait le liège. Et chaque jour qui passe confirme que le liège est l’élément idéal pour assurer une bonne évolution du vin en bouteille.

En même temps, le souci de préserver l’environnement et la nécessité d’assurer une bonne gestion environnementale s’accroissent. À cet égard, l’avantage que présente le liège par rapport aux matières synthétiques est tel qu’il en est, si l’on peut dire, écrasant.

Tout ceci nous porte à penser que le liège est en train d’entrer dans une nouvelle ère : non seulement parce que le bouchon gagne du terrain sur les autres types de bouchages, mais aussi car la qualité et les valeurs environnementales du produit-liège nous font constater que petit à petit, apparaissent et se développent de nouvelles applications, récupérant certaines aspects de celles qui ont vu leurs parts de marché chuter le plus fortement : revêtements, isolants, artisanat… sont en passe de regagner progressivement du terrain.

À l’heure actuelle, le secteur du liège doit toutefois relever certains défis qui, s’ils n’étaient pas relevés, pourraient limiter les opportunités ainsi que ses propres potentialités.

Le chêne-liège, Quercus suber, sous ses différentes formes et dans ses différentes localisations, forme un écosystème d’une grande richesse que l’on ne retrouve que dans la Méditerranée Occidentale : Portugal, Espagne, sud de la France, Italie, Maroc, Algérie et Tunisie. Sa situation stratégique freine la désertification du fait qu’il améliore les bilans hydriques et qu’il est résistant aux incendies de forêt. Par ailleurs, il agit efficacement contre le changement climatique en se comportant comme un puits de CO2.

Cet écosystème renferme également une grande biodiversité, où vivent des espèces d’une haute valeur faunistique protégées par les directives européennes ; par exemple, parmi les oiseaux : l’aigle ibérique (Aquila adalberti), l’aigle de Bonelli (Hieraaetus fasciatus), le vautour moine (Aegypius monachus), l’aigle royal (Aquila chrysaetos), la cigogne noire (Ciconia nigra), le hibou grand-duc (Bubo bubo). Et parmi les mammifères : le loup (Canis lupus), le lynx ibérique (Lynx pardina), le chat sauvage d’Europe (Felis silvestris) et le cerf (Cervus elaphus).

Outre cette valeur environnementale, les propriétés physico-chimiques du liège ont permis de développer une activité économique très importante dans les zones rurales, rattachée aux secteurs primaire, secondaire et tertiaire.

Sur les près de 2,7 millions d’hectares de suberaie qui existent dans le monde, 1,48 million se trouve en Europe et le reste, 1,22 million, en Afrique du Nord. La Péninsule Ibérique bénéficie de la plus grande superficie de suberaie au monde, le Portugal étant le premier producteur, suivi de l’Espagne.

Toute la chaîne de production du liège se trouve en milieu rural. Elle est composée de trois maillons principaux : les propriétaires de suberaie, les préparateurs de planches et les fabricants de produits finis, notamment des bouchons. Par ailleurs, l’héritage culturel et patrimonial de cette activité, comptant plus de 200 ans d’histoire, ainsi que la singularité des paysages subéricoles, constituent une excellente ressource permettant d’offrir de nouvelles possibilités à ces territoires, liées au développement de nouveaux modèles de tourisme durable.

D’après les données de l’IPROCOR (Instituto del Corcho, la Madera y el Carbón Vegetal de Extremadura), et de la C.E.LIÈGE, Confédération européenne du liège, la production de liège est estimée à 340.000 tonnes par an. Les travaux sylvicoles (permanents) et de levée (annuels) représentent près de 2 millions de journées de travail par an en forêt. L’industrie de préparation, l’industrie de finition et le commerce fournissent, en Europe, entre 90.000 et 100.000 emplois et leur chiffre d’affaires global, marché extérieur et intérieur, est de 1,7 millards d’euros par an.

Les propriétés physico-chimiques du liège (compressibilité, élasticité, perméabilité à l’oxygène, durabilité, etc.) facilitent de manière décisive le processus de vinification. C’est la raison pour laquelle le bouchon de liège, dans ses multiples variantes, s’est constitué en colonne vertébrale du secteur selon la définition de la chercheuse portugaise María Carolina Varela. Actuellement, présent, dans un contexte de stagnation générale de la consommation de vin, on estime que la production annuelle mondiale est de l’ordre de 14 milliards de bouchons.

Nous sommes donc en présence d’un secteur qui travaille avec une matière première essentiellement locale qui a réussi à consolider un marché mondial.

C’est une industrie qui se caractérise par la coexistence de quelques grands groupes, à forte capitalisation, et d’un tissu industriel de petites entreprises dynamiques, au capital local, enracinées dans le territoire, avec une quinzaine d’employés par entreprise en moyenne, et un niveau de savoir-faire tout à fait enviable.

À l’heure actuelle, ce secteur est confronté à un certain nombre de problèmes internes et externes qu’il convient de souligner les suivants :

En premier lieu, la suberaie doit faire face à divers problèmes d’ordre biologique, plus sensibles au niveau de certaines formations naturelles comme les dehesas* : par exemple, des problèmes phytosanitaires et de regeneration (comme la seca**, provoquée par le pathogène Phytophtora cinnamomi) ont été décelés.

Il convient de signaler la particularité de la suberaie quant à la mise en exploitation rentable de l’arbre, puisque de longues périodes de temps sont nécessaires pour obtenir la première levée economiquement rentable. À cet effet, il faut développer les politiques publiques d’aide à la mise en production qui, aujourd’hui, ne disposent pas de moyens financiers suffisants. Il est par ailleurs nécessaire d’augmenter, autant que possible, la production de liège dans la suberaie.

En deuxième lieu, le secteur est excessivement dépendant d’un seul produit : le bouchon de vin. Ceci génère des incertitudes pour les entreprises et les territoires du liège. D’une part, les changements en matière de consommation peuvent réduire la demande de vin, et d’autre part, l’émergence de nouveaux pays de production vinicole, ne disposant pas de liège, favorise l’apparition de produits alternatifs. À titre d’exemple, on peut affirmer que la part de marché actuelle pour les bouchons de liège est de 70 % du total des bouteilles produites dans le monde et que, ces dix dernières années, elle a enregistré une perte estimée à environ 10 points, il s’agit de valeurs estimées.

En dépit des efforts conjoints réalisés pour garantir la qualité (Code International des Pratiques Bouchonnières et certification SYSTECODE), la valeur des bouchons de liège en tant que produit naturel, biodégradable, bénéficiant d’une garantie alimentaire et de traçabilité, n’a pas trouvé un écho suffisant parmi les consommateurs et les leaders d’opinion ; aussi faut-il faire un effort très important de sensibilisation et de communication à ce sujet.

L’extraction du liège est une activité durable, respectueuse de l’arbre, qui utilise une ressource renouvelable, et qui, si elle s’accompagne d’une gestion responsable, ne nuit pas à l’écosystème ni aux services environnementaux de ce dernier.

En troisième lieu, le secteur du liège, malgré son importance, n’a pas eu et n’a toujours pas de relais politique significatif, en raison, entre autres, de sa particularité et du fait que l’activité du secteur se concentre sur des petites entreprises et des microentreprises. C’est en partie pour cela que l’on constate une perte progressive de ce patrimoine culturel, de la reconnaissance sociale de ses valeurs objectives, ainsi qu’une banalisation de son remplacement par des produits synthétiques.

* nom donné au système forestier existant dans le sud-ouest de l’Espagne (Estrémadure et Andalousie essentiellement), combinant la sylviculture du chêne-liège ou du chêne vert avec l’élevage et l’agriculture.

** maladie se caractérisant par un affaiblissement ou un dépérissement de l’arbre lié à une période de sécheresse.

Le liège possède toutefois à son actif des éléments essentiels susceptibles de favoriser son développement en tant que secteur. D’emblée, son caractère durable, puisqu’il s’agit d’une matière naturelle, écologique, renouvelable, recyclable (ce qui permet différentes applications industrielles), biodégradable, dont la production n’est pas polluante, consomme peu d’énergie et minimise les déchets puisque ceux-ci peuvent être réutilisés à travers la génération d’énergies renouvelables. L’industrie du liège a déjà réalisé, et continue de réaliser, un processus de modernisation à la fois complexe et intégral.

En outre, l’importance de la suberaie dans la lutte contre le changement climatique fait de son exploitation un élément stratégique. Il faut préciser à cet égard que, compte tenu du temps que met a pousser le liège nécessaire à la production du bouchon sur le chêne-liège, ce bouchon présente un bilan carbone négatif alors que les bouchons en plastique et en aluminium ont des bilans positifs, ce qui fait que les retombées écologiques de ces matériaux non renouvelables et non biodégradables sont bien plus fortes. À l’inverse, si l’on considère l’ensemble du cycle de vie du bouchon de liège, celui-ci fixe une quantité de CO2 équivalente au double de son poids.

Enfin, la connaissance du secteur doit jouer un rôle de moteur économique pour le territoire. Le secteur donne du travail dans les zones rurales et peut créer de nouveaux emplois liés à diverses activités : le tourisme rural, culturel, industriel, l’écotourisme, etc.

Si l’on tient compte de l’économie tertiaire et du fait que la qualité d’un territoire constitue un capital économique et un facteur de compétitivité, la qualité des paysages de suberaie représente un moteur de développement local et un outil de marketing territorial qui permet de valoriser ces produits.

Pour profiter au mieux des opportunités qui s’offrent à nous et pour faire face aux faiblesses et aux menaces existantes dans le secteur, il faut engager une action conjointe et coordonnée de tous les acteurs de la chaîne de production et de la chaîne de valeur du secteur; à savoir: les entreprises, les centres technologiques, les associations entrepreneuriales, les zones de promotion économique et de développement local, les espaces naturels protégés ainsi que les musées et les centres d’interprétation. Il ne faut pas oublier pour autant que les administrations locales jouent un rôle déterminant dans le maintien et l’amélioration de la qualité et de la compétitivité du territoire.

Étant donné l’importance de cette activité pour le développement local, la coopération entre les régions et les localités du liège constitue une pièce maîtresse pour la mise en œuvre de stratégies communes soutenant un modèle de développement durable, fondé sur le maintien de la production du liège et sur l’augmentation de son niveau de compétitivité.